#15 Hélicoptère, drone ou curling : quel hyper-parent êtes-vous?

#15 Hélicoptère, drone ou curling : quel hyper-parent êtes-vous?

Hélicoptère, drone ou curling : quel hyper-parent êtes-vous ?

J’ai été inspirée par Noël, période étant dans nos contrées très concentrée sur la surabondance matérielle des enfants, pour vous parler de  l’hyper-parentalitéDeux émissions de Grand Bien vous Fasse sur France Inter cette année m’ont également poussé à traiter ce sujet (toutes les références sont comme d’habitude à la fin de l’article). L’invité principal était le psychopédagogue Bruno Humbeek, que j’avais découvert préalablement par ses solutions contre le harcèlement scolaire. 

Cela fait 10 ans que j’anime un groupe de parentalité bienveillante. Alors des « hypers-parents », j’en ai croisé un nombre certain, à commencer par moi-même.

 Il me semble important de préciser que j’écris cet article pour porter à la conscience des parents ce sujet de l’hyper-parentalité. L’idée n’est pas de culpabiliser les parents. Nous faisons bien comme nous pouvons. Comme je l’ai déjà exprimé sur ce blog, je suis convaincue, ainsi que les chercheurs en neurosciences d’ailleurs, du bien-fondé d’une parentalité bienveillante, consciente, positive. Il est pour moi essentiel de se faire accompagner en tant que parent sur ce sujet. Que ce soit avec ses amis, des groupes de soutien, des ateliers de formation, de la thérapie… Si ce sujet vous intéresse vous pouvez lire mon article sur la parentalité bienveillante qui brosse un tableau des principaux courants francophones. 

 Il est à noter que tous les hypers-parents ne viennent pas d’une posture de parentalité bienveillante. D’ailleurs, ainsi que je l’exemplifierai dans chaque partie, les différents mouvements de parentalité bienveillante ne préconisent PAS l’hyper-parentalité.

Cet article propose ainsi principalement la grille de lecture de de Bruno Humbeek. Après une partie de définition, il s’articule autour des 3 grands types d’hyper-parent définis par Bruno Humbeek : hélicoptère, drone ou curling. A chaque fois, je vous préciserai les caractéristiques de ces parents, les risques que ces comportements engendrent et des pistes de solutions pour en sortir. Et j’ajouterai également mon grain de sel. Enfin une synthèse vous résume les recommandations.

 

Qu’est-ce que l’hyper-parentalité ?

Définitions

Il n’existe pas de définition du dictionnaire pour l’hyper-parentalité, qui est un concept récent.

 Le Wiktionnaire indique qu’il s’agit d’un « modèle parental dans lequel les parents tendent à exercer une surprotection particulière et un contrôle excessif sur leurs enfants ».

Dans le magazine Cerveau et Psycho, Bruno Humbeek précise que : « Cela désigne une volonté de se comporter en parents parfaits pour le bonheur optimal et la réussite totale de ses enfants. »

Béatrice Kammerer, qui est journaliste scientifique, met en lumière que la société, l’école notamment, attend beaucoup des parents. C’est comme si l’hyper-parent avait intériorisé toutes ces injonctions sociales, toutes ces pressions à être un parent parfait ; injonctions et pressions qui sont impossibles à tenir dans leur ensemble. 

 Le désir de perfection est donc au cœur de cette tendance de l’hyper-parentalité.

Quel parent n’a pas envie que son enfant soit heureux ? Quel problème à vouloir faire de son mieux ? N’est-ce pas d’ailleurs le 4ème accord toltèque?  Le problème n’est pas d’être un hyper-parent en soi, de vouloir faire de son mieux, le problème est quand cela commence à créer des tensions, de l’épuisement, toutes choses qui vont aller à l’encontre du but original finalement.

Origine

Carl Honoré explique que l’hyper-parentalité naît d’une envie naturelle et noble : donner le meilleur à ses enfants, qui bascule dans l’excèsBruno Humbeek évoque le fait que la parentalité soit désormais choisie, voire programmée, ce qui accentue la pression que l’on se met en tant que parent. La pression n’est pas qu’individuelle mais aussi sociale et médiatique, avec l’image du parent parfait, notamment sur les réseaux sociaux. Si vous n’avez pas vu le sketch de Florence Foresti sur la mère parfaite, vous pourrez vous y référer pour une illustration avec humour.
 
J’ajoute qu’un grand nombre de parents ne se retrouvent pas dans l’éducation « traditionnelle » et patriarcale qu’ils ont reçu, qu’ils ont envie de faire autrement. Et qu’un certains nombre d’entre eux cherchent inconsciemment à réparer leur enfance en éduquant différemment leur enfant, comme s’ils donnaient à leur enfant tout ce que leur enfant intérieur réclame à cœur et parfois à cris. 
 
Enfin, en ces temps incertains, certains parents ont la sensation en gardant le contrôle dans la parentalité, de garder un contrôle de la vie.
 
 

Parents hélicoptères 

Caractéristiques du parent hélicoptère

 L’enjeu majeur du parent hélicoptère est la sécurité. Son espoir est d’exposer l’enfant à aucun risque ou danger. C’est un parent très contrôlant.
Ses phrases favorites sont : « Tu es où ? », « Tu es avec qui ? », « Tu reviens quand ? ».
 

Problématiques et risques liés au parent hélicoptère

 Le problème n’est pas de protéger les enfants, qui est une fonction parentale majeure.
Le problème est de trop le faire. 
Les signes qui indiquent que la tension est trop grande sont des tensions éducatives avec l’enfant, une inquiétude importante voire une angoisse du parent quand l’enfant n’est pas là, quand il se déplace.
Le risque principal pour l’enfant est de créer une insécurité. En effet, l’enfant modélise : si mon parent s’inquiète, c’est donc que le monde est dangereux. 
cercles concentriques symbolisant la distance de sécurité de 300 m (aujourd'hui) à 10 m (il y a 10 ans)

A noter qu’au niveau social, la distance de sécurité, la distance au-delà de laquelle le parent est inquiet, ne fait que de diminuer.

Les conséquences sont également des enfants qui sortent peu, qui restent dans leur chambre, avec souvent une grande présence des écrans – il faut bien que l’enfant explore quelque chose – qui sont encore un motif d’inquiétude pour le parent hélicoptère.

De plus, cette posture parentale est nocive pour l’autonomie, qui n’est pas se débrouiller seul mais de faire appel aux parents si nécessaire. Or si des choses sont interdites (sortir, aller sur les réseaux sociaux, par exemple), certains enfants (voire tous) finiront par braver l’interdit. Mais l’enfant ne pourra pas en parler au parent s’il rencontre des problèmes puisqu’une interdiction avait été posée dans un premier temps.

Le risque pour le parent est non seulement de détériorer sa relation avec ses enfants, mais également tous les aspects négatifs du stress pour l’organisme, que j’ai explicité dans cet article.

Pistes pour sortir du parent hélicoptère

La recommandation pour ces parents est de développer l’audace prudente. Audace car on laisse l’enfant y aller mais prudente car on a repéré les potentiels dangers. Au lieu de trop de présence, on cherche à être disponible sans être envahissant. C’est un équilibre difficile à trouver, et le niveau de protection est évidemment à faire évoluer en fonction de l’âge de l’enfant.

Pour prendre du recul, je me rappelle un article qui m’avait marqué : un enfant se remettra mieux d’une jambe cassée que d’un manque de confiance en ses capacités. C’est ce que je me répétais comme un mantra dans les parcs pour enfants quand ma fille escaladait (parcs qui sont en France ultra et donc trop sécurisés d’ailleurs). Cet article faisait également le constat de la baisse drastique de la distance de sécurité et du degré de liberté des enfants, et corrélaient ces éléments à une anxiété accrue à l’âge adulte. 

Pour les réseaux sociaux, par exemple, on peut exprimer qu’il y a de bonnes choses dedans, et de moins bonnes. Et que dans ce cas, nous sommes disponibles pour écouter ces moins bonnes choses que l’adolescent vivrait. Il est bon de chercher à maintenir le lien avec l’adolescent, y compris en discutant de ses passions (même s’il s’agit du jeu vidéo Fortnite). Finalement, en tant que parent, on cherche à être avec lui comme un nœud marin : un nœud qui tient très fort, mais qui se détache facilement. 

J’ajoute également que cette grande insécurité parentale trouve probablement sa source dans un épisode traumatique de l’enfance. Catherine Dumonteil-Kremer l’évoque également dans l’épisode 8 de son podcast.

 

 

Parent drone

Caractéristiques du parent drone

 Le parent drone cherche le meilleur pour son enfant. Il va jusqu’à évacuer les émotions « négatives » (tristesse, colère, peur) au profit de la joie. Ses phrases favorites sont : « le meilleur pour toi », « la meilleure école », « le meilleur jouet », « le meilleur stage », « le meilleur vêtement » … Le parent drone cherche à assouvir tous les désirs de son enfant, voire à les anticiper, de manière à ce qu’il ne traverse pas d’émotions « négatives ».

Problématiques et risques liés au parent drone

Les risques pour l’enfant sont de se mettre une pression à être le meilleur, de ressentir une pression parentale car il est le centre absolu de leur attention, et également de se censurer de toute émotion « négative ». Emotions négatives qu’il garde alors en lui, et qui risquent de ressortir adulte sous forme de réactions exagérées.

« L’éducation dans le vrai sens de ce mot consiste à comprendre l’enfant tel qu’il est, sans lui imposer l’image de ce que nous pensons qu’il devrait être. »
Jiddu Krishnamurti

Le risque principal pour le parent est l’épuisement parental. Le burn out parental est caractérisé par

  • de l’épuisement : une fatigue qui résiste à une bonne nuit de sommeil
  • une distanciation émotionnelle avec leur enfant, le peu d’énergie disponible étant utilisée pour les émotions du parent
  • une perte de capacité à éprouver du plaisir, pour des activités en procurant habituellement

Pistes pour sortir du parent drone

Evidemment, on ne va pas vouloir le pire pour son enfant, mais on peut s’arrêter au satisfaisant, au banal.
La piste principale pour aider ces parents est l’invitation à faire le deuil de la perfection. Le deuil de perfection du parent, de l’enfant, du monde, même. C’est ce que nous invite à faire Isabelle Filliozat dans son ouvrage « Il n’y a pas de parent parfait ».
Par exemple se dire comme Bruno Humbeek « qu’une maman parfaite fabriquerait de parfaits crétins ! ». Pour Winnicott, qui a défini le concept de la « mère suffisamment bonne », c’est la capacité à défaillir de la mère qui permet au bébé de s’adapter, de mentaliser le manque… ce qui contribue à développer son intelligence (au début de la vie du bébé, la mère a tendance à s’adapter parfaitement aux besoins du bébé, c’est le processus de préoccupation maternelle primaire).
Se donner droit à l’imperfection et le montrer à nos enfants, c’est également leur autoriser ce droit, par modélisation.
Une autre piste importante est d’accepter toutes les émotions. Pour que l’enfant puisse les vivre, les exprimer (=laisser sortir). Elles ont toutes leur place, dans les gammes de la tristesse, de la colère, de la joie, de la peur et du dégoût.

Parent curling ou bulldozer

Caractéristiques du parent curling ou bulldozer

Le parent curling ou bulldozer cherche à influencer la trajectoire de l’enfant en éliminant les obstacles, réels ou virtuels (anticipation des problèmes possibles).

Problématiques et risques liés au parent curling ou bulldozer

L’exemple symptomatique est les devoirs scolaires. L’énervement quasi inévitable du parent va venir parasiter les apprentissages scolaires. En tant que parents, rappelons-nous que le devoir sert à savoir où l’enfant en est pour le professeur, pas à évaluer le parent !
Vouloir éviter toute difficulté risque également de ne pas permettre à l’enfant de développer des ressources, des savoir-faire, des capacités (ce qui va nuire à son autonomie et à sa confiance en soi sur le long terme). 
Un effet secondaire pour les enfants est d’avoir un comportement d’évitement des difficultés, et en particulier d’évitement des conflits, par inhabitude, et incapacité à savoir les gérer.
Le risque pour le parent est l’épuisement parental.

Pistes pour sortir du parent curling ou bulldozer

 La piste principale est d’accepter l’absence de certitude dans la vie. Par exemple, si l’enfant ne sait pas quel métier faire, il ne sert à rien de s’affoler : 80% des métiers de demains n’existent probablement pas encore. On va permettre à l’enfant de se confronter aux difficultés qu’il rencontre, petit à petit et en fonction de son âge. Il est là encore question de dosage. On ne jette pas directement un petit enfant dans le grand bain !

équipe de curling en action : balayage devant l'objet

Synthèse

Risques de l’hyper-parentalité

Le risque à se centrer excessivement sur le bonheur de nos enfants est d’oublier de prendre soin du nôtre. Pire, un cercle vicieux peut se mettre en place : je n’arrive pas à atteindre mon objectif de perfection (qui est inatteignable mais je n’en ai pas conscience, ou pas complètement), donc je me sens très mal. Alors je vais en faire encore plus… jusqu’à en faire trop : en surprotégeant, surétouffant, surinvestissant, surstimulant l’enfant… Jusqu’à si je vais trop loin faire un burn out parental.

Et au passage je montre une image d’adulte qui va mal à mes enfants, qui ne sait pas poser ses limites. Et comme les enfants modélisent leurs parents… eh bien je vais encore à l’encontre de mon objectif initial d’avoir un enfant heureux.

Et cerise sur le gâteau, l’enfant ressent la pression sur ces épaules d’être heureux, ou de réussir à l’école, ou d’être parfait… pour rendre son parent heureux.

Solution 1 : s’occuper de soi 

Une recommandation majeure est de s’occuper de soi, de son bonheur. Ce modèle de l’adulte épanoui est essentiel pour nos enfants. Rappelons-nous : en cas de dépressurisation dans l’avion on se met d’abord le masque à oxygène à soi. C’est comme cela qu’on est en état de le mettre ensuite à l’enfant. Isabelle Filliozat utilise beaucoup cette métaphore pour insister sur cette préoccupation de soi d’abord, pour être réellement disponible à l’enfant. L’un des piliers de la Discipline Positive est également le respect de soi (l’autre étant le respect de l’enfant).

Cela permet aussi à l’enfant de ne pas avoir la pression de rendre son parent heureux.

Solution 2 : faire confiance aux enfants

Une autre piste importante est de faire confiance aux enfants, à leurs capacités. Dans un premier temps, observons ce qu’ils sont capables de faire, sans intervenir (sauf en cas de danger, évidemment). Expérimentons, soyons des parents chercheurs, petit pas par petit pas. Une posture intéressante  est de laisser faire et d’ouvrir la porte au dialogue, notamment sur les usages numériques.

Solution 3 : entretenir la nuance et chercher la voie de l’équilibre

Pour entretenir la nuance, il est utile de discuter avec des parents différents der nos pratiques parentales, pour voir qu’il y a une variété infinie de façons d’être et de réagir à des situations données. Dans l’idée non pas de juger mais de prendre du recul. De poser un sourire bienveillant sur nos comportements.

Entretenir la nuance c’est aussi accepter l’incertitude. L’incertitude de la vie, et l’incertitude de savoir si ma posture est juste ou non. En tant que parent, nous savons que l’équilibre se modifie en permanence, et que nous cherchons à cheminer sur la crête : être disponible sans être envahissant.

Solution 4 : lâcher la pression

Ensuite, lâchons la pression : foutons-nous la paix et foutons la paix à nos enfants. Le jeu et l’humour fonctionnent très bien pour lâcher la pression. Rappelons-nous aussi de l’adage : « il faut un village pour élever un enfant. » Il est illusoire de croire que nous pourrons tout contrôler, ni ne nous appuyer sur des proches.

L’épuisement parental se niche dans les détails : réduisons de moitié notre to do list (liste des choses à faire). Pour cela il suffit de penser long terme : est-ce qu’un lit fait le matin aura de l’importance dans 1 an ? Est-ce qu’une note en dessous de la moyenne aura de l’importance dans 5 ans ?

 

Si malgré ces pistes vous ressentez de l’inconfort ou de la difficulté dans votre parentalité, nous pouvons en parler. Pour poser un diagnostic, vous donner des pistes personnalisées ou commencer un travail thérapeutique

Ressources complémentaires :

Émission Grand bien vous fasse 22/2/23 

Émission Grand bien vous fasse 6/9/23 

revue Cerveau & Psycho  n° Septembre : hyperparents : comment lâcher prise ?

Episode 8 du podcast de Catherine Dumonteil-Kremer (origine traumatique de l’hyper-parentalité)

Pour aller plus loin

Hyper-parentalité, Apprendre à lâcher prise pour le bien des parents et des enfants de Bruno Humbeek, éditions Mardaga, octobre 2022

Laissez les enfants tranquilles – Halte aux emplois du temps surchargés et à la course à la performance de Carl Honoré, Marabout

L’éducation vraiment positive de Béatrice Kammerer, Larousse (2019) 

 

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